Spencer City - Samedi 3 juillet - 8 h 15.



Mort, Dave Greenburg l'était, et de manière définitive. Il reposait sur la table de consultation du cabinet du docteur Kennedy. Ses petits yeux fixaient le plafond et son ventre béait sur un amas de viscères. La bouche, figée dans un rictus découvrait deux dents de lapin, le comble pour un rat !
William, Trent et Jean dormaient sur le canapé. William changea de position et de son coude heurta Jean qui poussa un grognement. Elle ouvrit les yeux et vit l'animal mort, une nausée la submergea. Elle bondit hors du canapé et sortit de la pièce. William et Trent s'éveillèrent en même temps.
"Ca pue, tu aurais du m'écouter et le mettre au frigo."
Trent reniflait avec un air dégoûté. William se leva sans répondre, pinçant ses narines entre deux doigts et ouvrit la fenêtre en grand. Une nuée de mouches envahit le cabinet médical.
"Cette baraque est une morgue."
William lança un coup de pied dans le tas de cadavres de bouteilles qui gisaient prés du divan. Jean entra.
"Tu devrais t'habiller, en noir à cause de l'enterrement."
"Quel enterrement ?"
"Celui de Dave Greenburg !"
Elle eut un geste pour leur suggérer de laisser tomber.
"Elle n'est pas aussi drôle que ça !"
"Je fais ce que je peux ! Et si ça vous plaît pas !"
Elle refit le même geste
"Qu'est-ce qu'on fait ?"
Trent interrogeait.
"On se tire."
Commenta William en rassemblant ses affaires éparses.
"Quel est le programme ?"
Jean s'inquiétait, elle était fatiguée et trouvait les deux garçons de moins en moins drôles.
"On improvisera, après l'enterrement."
William décrocha le téléphone.
"Allô, les établissements funéraires Farrow and Co ? Ici le cabinet du docteur Machin ! C'est toi maman? Ici c'est William. Ecoute M'an. On est ici avec des amis et on a un cadavre sur les bras. Il faut que vous nous aidiez P'a et toi, sinon c'est la prison, le déshonneur ! Tu vois ça M'an ? Les manchettes des journaux: le fils du maire de Spencer City assassine un citoyen. Mais non, je ne plaisante pas ! Alors voilà, P'a et toi vous allez emplir une mallette avec des tas de billets de un dollar, des coupures usagées, pas de blagues, hein ? C'est pour acheter le silence de la veuve. Excuse moi, j'ai l'impression qu'on nous écoute. Salut M'an!"
Il raccrocha.
Maman Farrow riait encore après avoir raccroché de son côté. Quel humour son William !
"Ce type ! Ce type est impayable."
Trent se pliait de rire.
Jean promena sur les deux garçons un oeil mort.
"Je veux m'en aller !"
"Pas question !"
William se jeta sur la porte qu'il verrouilla avant d'enfouir la clef dans sa poche.
"Tu restes avec nous ! Nous sommes tous complices !"
"C'est vrai ça ! tu es aussi coupable que nous ! J'ai tué ton mari ! William l'a achevé sur la table d'opération ! Et toi tu t'es envoyée en l'air sous les yeux morts du cadavre !"
"Je veux m'en aller ! J'en ai marre de vos conneries !"
"T'as pas toujours dit ça, j'ai quelque chose à te proposer : la visite d'un endroit qui te plaira sûrement, Tilt House."
"Ni Tilt House, ni ailleurs, je veux rentrer chez moi."
Des plis soucieux s'étaient formés sur le front de Jean.
"Mais vous êtes chez vous, Madame Farrow ! Ma maison est la vôtre, mes amis sont les vôtres... J'ai une idée !"
"Encore !"
Jean raillait.
"Tu devrais te ménager, tu cours au surmenage."
Sans l'écouter William enchaînait.
"Alors voilà, on va partir faire notre ronde. Trent ! Va dans la voiture prendre nos uniformes. On va patrouiller un peu dans le coin, Trent et moi, histoire de vérifier que tout se passe bien. Et puis ce soir on rentrera fatigués, crevés, crottés avec plein de sang sur les mains, et des tas de blessures partout."
Trent revenait avec les uniformes. Deux panoplies complètes. Chemises, casquettes, colts, ceinturons, des copies conformes de vrais uniformes de police.
Jean avança calmement vers la porte.
"Je ne veux pas rester une minute de plus dans cette ville de dingues. Je vous préviens, vous avez intérêt à me laisser sortir, sinon, sinon je téléphone à la police !"
William fit sauter l'emballage d'une des panoplies, arracha une casquette qu'il coiffa.
"Ici à Spencer City, nous sommes fiers de notre police, la plus rapide de tout le Sud, pas besoin de..."

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